Le TEP Ménilmontant : peut-on opposer lutte sociale et écologiste ?

Dans le XIe arrondissement de Paris, une résistance s’organise depuis plusieurs années contre le lancement d’un projet immobilier sur un ancien terrain d’éducation physique. Face à l’échec des recours juridiques, le combat devient rapidement politique… et musclé. Les machines de chantier qui débarquent au début du mois d’avril 2019 sont bloquées par les opposants qui, dans la foulée, occupent le terrain et en font un nouveau lieu de vie. Cette lutte, bien que souvent qualifiée de « petite bourgeoise », semble rendre caduque l’opposition binaire entre lutte sociale et lutte écologiste. Reportage.

Dif­fi­cile de ne pas être sur­pris en ren­trant sur le Ter­rain d’éducation physique et sportive (TEP), renom­mé Ter­res d’écologie pop­u­laire de Ménil­montant par les mil­i­tants. Nous nous y ren­dons en milieu du mois d’octobre un same­di en début d’après-midi. En remon­tant la petite allée vers la friche, nous y croi­sons deux poules flan­quées de leur coq. A côté du poulailler, un com­post est à dis­po­si­tion pour que les riverains y déposent leurs déchets organiques. 

Un peu plus haut, des enfants jouent au foot­ball, libérés du regard de leurs par­ents, instal­lés con­fort­able­ment sur les bancs et autres transats dis­per­sés sur le ter­rain. Une buvette offre quelques rafraîchisse­ments, ver­res con­signés bien naturelle­ment, pour qui voudrait se désaltérer.

Dif­fi­cile de faire con­traste plus sai­sis­sant avec le cimetière qui lui fait face. En effet, le TEP se donne avant tout à voir comme un lieu de vie ani­mé. Bien que les jours se fassent plus frais et plus courts, l’endroit parvient à main­tenir une cer­taine fréquen­ta­tion. L’occasion d’un dernier temps de plein ensoleille­ment avant l’hiver, n’y est sans pas doute innocente.

Nous étions passés la semaine précé­dente, un ven­dre­di soir plu­vieux et n’avions trou­vé alors qu’une seule bénév­ole, abritée sous un toit en bois, quelque peu embar­rassée lorsque nous avions demandé : « J’avais vu un événe­ment en ligne… Et sinon, du monde vient en général ? ». Cette fois-ci, l’embarras est de notre côté en ayant fait part de nos doutes au vu du suc­cès man­i­feste du lieu.

Et dire que l’on pour­rait bien­tôt faire face à un amas de gra­vats et au bruit assour­dis­sant des pel­leteuses ! Pour cause, le pro­jet lancé en 2011 par Bertrand Delanoë, maire de Paris de 2001 à 2014, visait à con­stru­ire, sur les ruines d’un ancien stade de foot, un com­plexe immo­bili­er com­prenant un gym­nase, une déchet­terie, 85 loge­ments soci­aux ain­si que des jardins partagés.

Un projet de construction bien différent de celui annoncé

Dès les pre­miers jours, le pro­jet sus­cite cepen­dant des résis­tances. Un mil­i­tant nous explique : « Je fai­sais par­tie d’une asso­ci­a­tion qui gérait un jardin partagé juste à côté. Nous savions que l’occupation du ter­rain n’était que tem­po­raire. Mais quand la mairie a présen­té le pro­jet pour la friche, il ne s’agissait pas du tout de ce que l’on nous avait annon­cé ». Les riverains sont alors inter­loqués par la hau­teur des bâti­ments, l’installation d’un cen­tre de traite­ment des encom­brants en sous-sol ou encore sur le faible espace lais­sé à la ver­dure dans un quarti­er qui en manque déjà cruellement.

Un mou­ve­ment de riverains con­cernés par le pro­jet, «La chaise en action», se con­stitue en asso­ci­a­tion. Celle-ci, dans un pre­mier temps, tente d’utiliser la voie judi­ci­aire, mais les deux recours intro­duits pour annuler les travaux sont rejetés en pre­mière instance. 

De juridique le com­bat devient alors poli­tique. Alors même qu’ils n’ont aucune expéri­ence mil­i­tante, les riverains appren­nent la lutte sur le ter­rain. Ain­si, le 8 avril 2019, une pel­leteuse orange est sur­prise par un comité d’accueil con­sti­tué de riverains et de quelques élus locaux débar­qués à toute vitesse une fois l’alerte donnée.

Une ban­de­role est déployée et les engins bre­douilles doivent rebrouss­er chemin, le maire social­iste du 11ème, François Vauglin, se refu­sant à faire inter­venir les forces de l’ordre.

Face à la pres­sion pop­u­laire et voy­ant le vent souf­fler dans le dos d’Europe Écolo­gie-les Verts, Anne Hidal­go renonce au pro­jet à la suite des élec­tions européennes. Alors que cer­tains y voient un retourne­ment de veste dans l’optique des élec­tions munic­i­pales, M. Vauglin assure que : « La déci­sion avait été prise avant le scrutin ». 1

La mairie se trou­ve en effet dans une sit­u­a­tion déli­cate, son pro­jet pour le TEP réus­sit la prouesse de faire con­verg­er oppo­si­tions de droite et de gauche con­tre lui. Mais pour les bénév­oles et mil­i­tants, le com­bat est loin d’être achevé. Si la mairie a annon­cé l’abandon du pro­jet ini­tial, elle entend faire une nou­velle propo­si­tion « recal­i­brée » : « on ne peut plus le faire de la même façon » con­sid­ère François Vauglin.

Les débuts d’un lieu autonome

Face à ce qu’ils con­sid­èrent comme un jeu de dupes, les mem­bres de l’association ne cèdent pas à une pas­siv­ité expec­ta­tive. Ils pour­suiv­ent la con­struc­tion d’un lieu de vie afin d’aménager la zone et, chaque dimanche, les riverains sont appelés à met­tre la main à la pâte afin de pour­suiv­re les con­struc­tions sans béton qui font tant trem­bler les adju­dants d’Anne Hidal­go. « Notre objec­tif c’est de con­tin­uer à créer un état de fait afin qu’il devi­enne un état de droit » nous dit Hubert2.

Si la lutte pour le TEP de Ménil­montant est si intéres­sante, c’est qu’elle est ancrée dans un quarti­er. Loin d’une mobil­i­sa­tion de mil­i­tants chevron­nés, elle incar­ne le proces­sus de poli­ti­sa­tion à l’œuvre chez des riverains vic­times d’un énième « grand pro­jet inutile ».

En effet, si des élus locaux et des asso­ci­a­tions se sont gref­fés sur ce com­bat afin d’apporter leur sou­tien, ils sont loin d’être à la manœu­vre, évi­tant ain­si tous les risques de récupéra­tion poli­tique. Bien loin d’avoir appris grâce au « savoir-faire mil­i­tant » pro­posé par les asso­ci­a­tions écol­o­gistes pro­fes­sion­nelles, les bénév­oles de La chaise en action ont voulu appren­dre sur le tas : « Lorsque l’on attendait le début du chantier au print­emps dernier, il fal­lait s’organiser. Une per­son­ne était chargée de veiller à ce que chaque matin quelqu’un soit présent pour guet­ter l’arrivée des machines et prévenir les autres ».

Au con­traire, les inter­ven­tions des asso­ci­a­tions écol­o­gistes ont mené à quelques sit­u­a­tions cocass­es. « Des mil­i­tants ont tenu une for­ma­tion à la désobéis­sance civile auprès des bénév­oles. Quand ils ont pris con­science des risques judi­ci­aires que ce type d’action tout le monde dis­ait « Oh non, je ne veux surtout pas faire ça ! » Alors même qu’ils venaient de blo­quer le chantier en sachant très bien ce à quoi ils s’exposaient ! ».

Si à la suite de cette for­ma­tion, beau­coup de mil­i­tants s’étaient éloignés des activ­ités de l’association, ils sont revenus depuis. Loin des débats mil­i­tants récur­rents sur la néces­sité morale ou stratégique de la désobéis­sance civile, celle-ci est apparue comme naturelle. Elle témoigne d’un relatif con­sen­sus autour de ce mode d’action et de la dif­fu­sion de cette tac­tique de plus en plus util­isé ces dernières années par les mou­ve­ments écologistes.

En out­re, on peut met­tre au crédit de La Chaise en action, via l’écologie pop­u­laire, d’avoir réus­si à dépass­er le cli­vage allant a pri­ori de soi entre poli­tique écologique et poli­tique sociale. Mais pourquoi au juste ?

S’opposer à la construction de logements sociaux : une lutte de bobos privilégiés ?

Le pro­jet de con­struc­tion de loge­ments soci­aux rend dif­fi­cile une oppo­si­tion pure et sim­ple au pro­jet, au risque, pour les mil­i­tants, de pass­er pour l’archétype du citadin priv­ilégié allergique à toute forme de mix­ité sociale. « Il faut voir ce que l’on a pris sur les réseaux soci­aux. On a essayé de nous faire pass­er pour des Nim­by [ndlr « Not in my back­yard », désig­nant en français, grosso modo : «Pas chez moi»] ». 

En effet, sur Twit­ter, de nom­breux comptes relaient des mes­sages assim­i­lant les per­son­nes mobil­isées à des « bobos » préférant un joli petit parc en lieu et place de loge­ments abor­d­ables pour les class­es pop­u­laires. Même l’ancienne Min­istre de l’habitat et du loge­ment durable (sic !) de François Hol­lande, aupar­a­vant secré­taire générale d’EELV, Emmanuelle Cosse, se déclarait sur Twit­ter con­sternée par la mobil­i­sa­tion des habi­tants : « Quand les bien logés s’opposent à des loge­ments abor­d­ables. Honte de voir util­isé l’argument de la bio­di­ver­sité pour con­tr­er du loge­ment social 3 ».

« J’avais un peu le même préjugé au début con­cer­nant la lutte de la pre­mière asso­ci­a­tion « touche pas à mon stade» [fondée en 2012]. Je trou­vais que l’opposition à la con­struc­tion de loge­ments soci­aux étaient une posi­tion indéfend­able » affirme Hubert. Pour­tant, les bénév­oles sont loin d’être assim­i­l­ables aux habi­tants de l’Ouest parisien hos­tiles à l’installation d’infrastructures sociales dans leur quarti­er.4

« On s’est ren­du compte que beau­coup de bénév­oles étaient égale­ment les habi­tants des loge­ments soci­aux avoisi­nants, pour­suit-il. D’ailleurs, on n’est pas con­tre les loge­ments soci­aux mais on con­sid­ère qu’il faut une meilleure répar­ti­tion ».

Lutte sociale et lutte environnementale : une opposition caduque ?

Il est notam­ment mis en bal­ance le pro­jet du TEP avec la réal­i­sa­tion d’un parc en face de l’église Sainte-Ambroise, pour un coût exor­bi­tant, dans un quarti­er sociale­ment très homogène situé plus au sud de l’arrondissement. Les mil­i­tants insis­tent égale­ment sur la néces­sité d’élaborer une poli­tique de la ville plus ambitieuse que la sim­ple béton­i­sa­tion de poten­tiels espaces verts pour attein­dre les quo­tas de loge­ments soci­aux, en essayant par exem­ple de frein­er l’installation d’entreprises ou la loca­tion touris­tique afin d’alléger le marché locatif.

Ain­si, plutôt que de se laiss­er enfer­mer dans une oppo­si­tion binaire entre les « bobos » et les « class­es pop­u­laires », les bénév­oles sont par­venus à met­tre en avant le bien-être des habi­tants des loge­ments soci­aux envi­ron­nants en leur recon­nais­sant un droit d’accès à des espaces de verdure.

En béton­nant un espace vert essen­tiel dans le quarti­er, en con­stru­isant des immeubles imposants au-dessus d’une déchet­terie, c’est sans doute les nou­veaux rési­dents qui seraient en réal­ité les plus impactées par le pro­jet. « On installe tou­jours les mêmes infra­struc­tures dans les mêmes quartiers. C’est à cette logique-là qu’on s’oppose. Ils veu­lent con­stru­ire un ter­rain de bas­ket qua­si­ment à hau­teur des fenêtres des habi­tants. Ce serait inviv­able pour eux ! » déclare une mil­i­tante. En s’installant durable­ment sur ces ter­res par la con­struc­tion d’un pro­jet alter­natif, le TEP de Ménil­montant éla­bore pas à pas son « utopie réelle ».

Ain­si, plus qu’une sim­ple « lutte con­tre », elle incar­ne une réap­pro­pri­a­tion de l’espace pub­lic pour ses habi­tants. Et un aver­tisse­ment pour d’autres pro­jets inutiles.

Marc Ouze pour Le Chif­fon

Pho­to de Une > Bar et espace de dis­cus­sion amé­nagé sur le TEP. Crédits : Gary Libot.

Pho­to 2 > Gin­ger, opposante au pro­jet de la mairie. Crédits : Gary Libot.

 

  1. Anne Hidal­go renonce à « béton­ner » un ter­rain de l’Est parisien », Le Monde.fr, 29 mai 2019
  2. Prénom anonymisé
  3. Sur Twit­ter le 08 avril 2019. 
  4. «Paris : les riverains mobil­isés con­tre un “San­gat­te du XVIe” », Le Figaro, 13 juin 2016

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