Les rats de Notre-Dame et du Palais de Justice ne savent plus à quel saint se vouer. Il y a ce qu’ils ont vu cette terrible nuit du 15 avril 2019, ce qu’ils ont entendu dans les couloirs du Palais, ce qu’ils lisent dans la presse et ce qu’ils verront bientôt au cinéma. Ces sons de cloches sont tellement différents que même les grenouilles de bénitier – pourtant habituées aux histoires tonitruantes – en perdent leur latin. Comité de rédaction dans une cathédrale abandonnée avec visite des lieux du drame, lecture des rapports de police, suivis par un moment de détente avec les déclarations gouvernementales et les articles de presse.
Les causes de l’incendie sont extrêmement bien documentées. La pile de rapports commence 20 ans avant le drame quand la Commission nationale du patrimoine et l’Association « Sites & Monuments » alertent déjà sur le risque d’incendie. Après les attentats islamistes de 2015 s’y ajoutent des rapports sur un risque d’attentat qui arrive plus vite que prévu : le 4 septembre 2016 quatre femmes essayent de faire exploser des bonbonnes de gaz devant Notre-Dame.
Dans la foulée, le CNRS écrit un nouveau rapport pointant « la toiture en bois facilement inflammable » comme cible probable d’un nouvel attentat. La cathédrale est alors protégée par une ceinture de caméras de surveillance. Elles nous livrent des images on ne peut plus précises sur le départ du feu le 15 avril 2019 et démentent ainsi toutes les histoires inventées par le gouvernement qui circulent depuis dans la presse. La brigade criminelle, qui réussira même à retrouver des traces ADN sur les 7 mégots de cigarettes retrouvées, est formelle : c’est un accident, aucune trace d’attentat. Aucune intrusion sur le site le jour du drame, aucune personne présente sur les lieux au moment des faits, aucune trace d’hydrocarbure, etc. C’est ce qu’écrit le procureur de la république dans son rapport qui clôt l’enquête préliminaire le 26 juin 2019, avant que trois juges d’instruction lancent de longues enquêtes, qui restent sous les verrous jusqu’à aujourd’hui.
La raison de ce mutisme est simple : tous les rapports sont gênants pour les principaux responsables du drame, l’État en premier, l’église (le diocèse de Paris) et les pompiers (à Paris des militaires). Très gênants même, vu la médiatisation enflammée de l’incendie, qui a battu tous les records d’audimat : jamais un feu n’a été suivi en live par autant de personnes dans le monde, jamais il n’y a eu autant de tweets de sympathie de chefs d’État en live et jamais 100 000 personnes dans le monde entier ont versé en moins d’une semaine la somme inégalée de plus de 800 millions d’€ de dons pour une reconstruction. Parce que Notre-Dame est un symbole de Paris et de la France.
Donc si l’image de la France est en jeu, un simple incendie dans une église française – d’ailleurs le 18e en moins de 6 mois – devient une affaire d’état. Pour bien comprendre les coups de com’ gouvernementaux qui vont pleuvoir, il faut regarder de près les causes du feu que cette com’ délirante est censée faire oublier. Depuis la Loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, les églises françaises appartiennent aux villes, et les cathédrales à l’État. Ce dernier est responsable de leur entretien et de leur exploitation touristique par le biais du ministère de la Culture. En 2019, l’année du drame, l’État français n’a dépensé que 18,82 millions d’euros pour l’entretien des 200 monuments à sa charge, dont 86 cathédrales. Pour la restauration des 14.100 monuments nationaux, il n’y avait que 71,8 millions d’euros. C’est peanuts, la restauration du toit et du chemin de ronde de Notre-Dame (en cours au moment du drame) coûtait déjà 60 millions d’euros, donc quasiment autant pour une église que prévu pour quatorze mille monuments en un an ! Puisque ni l’État ni la ville de Paris ne voulaient débourser plus que des broutilles pour Notre-Dame, ces travaux ont été principalement financés par les « Friends of Notre-Dame » américains. Thank you !
Beaucoup plus embarrassant encore : le fait que pour ces mêmes raisons de (non)financement, Notre-Dame n’avait plus de brigade de pompiers (à l’instar du Louvre, du château de Versailles, etc.). Celle-ci a tout simplement été supprimée dans le monument le plus visitée de France (12 millions de visiteurs en 2018) et remplacée par une « sécurité électronique ». Le contrat initial rédigé par le ministère de la Culture en 2012 stipulait : « deux personnes présentes 24h/24h ». Mais l’entreprise qui avait remporté l’appel d’offres, Elytis, avait fait fondre ces deux personnes jour et nuit en une seule de 8h à 23h (en réalité à 21h). Il n’y avait donc déjà plus aucune protection incendie la nuit pendant les attentats de 2015 et, surtout, pendant la rédaction des nombreux rapports de sécurité en 2016 ! Pendant la journée, un employé d’Elytis était assis dans le presbytère (petit bâtiment mitoyen de l’église) devant un panneau avec une centaine de détecteurs d’incendie d’une cathédrale qu’il ne connaissait pas. D’ailleurs on ne lui proposait pas de la visiter, car les rapports entre le ministère et le diocèse étaient exécrables.
« Les fidèles voient une bruine de suie noire descendre sur eux depuis la voûte. »
Nous ne suivons que le fil rouge qui a provoqué le départ du feu. Ce fil maudit avait 13 ans : installé clandestinement en 2006 par le diocèse pour faire sonner électriquement les trois petites cloches de la flèche pendant la messe (au lieu de le faire avec une corde). En 2012, un deuxième fil est ajouté pour électrifier trois cloches supplémentaires, cette fois-ci avec promesse de bien les enlever « avant la fin de l’année ». Mais cela n’a pas été fait et, surtout, jamais remarqué par aucun inspecteur venu en 2015 et 2016 voir de près cette « toiture en bois facilement inflammable ».
Ces fils électriques sont endommagés une semaine avant l’incendie lorsqu’on enlève les 16 sculptures monumentales de la flèche pour les emmener par hélicoptère dans un atelier de restauration. Un gros boulot, nécessitant des outils lourds comme des chalumeaux avec des bonbonnes à gaz — qu’on laisse la nuit sous les combles. Pour recharger les batteries, les employés d’Europe Échafaudage installent un boîtier électrique dans les combles. Sans en avertir le bureau de contrôle Socotec, qui ne le trouvera que des semaines après l’incendie — pour découvrir qu’il a été monté à l’envers et qu’il restait jour et nuit sous tension. Sans aucun doute le feu est parti de là, mais sans qu’on sache précisément s’il est parti du boîtier ou des fils électriques endommagés. A 18h04 — au moment où l’on a fait sonner les cloches électrifiées de la flèche.
Ce lundi 15 avril 2019 — début de la semaine de Pâques, moment de la plus grande affluence de l’année liturgique — est assis devant le panneau des détecteurs de la cathédrale un jeune homme qui n’a jamais travaillé dans la protection incendie et qui n’a reçu aucune formation pour ceci. Ce n’est que son troisième jour de travail et personne ne lui a expliqué cet édifice fort complexe. Lorsque l’alarme retentit à 18h16, il est au sous-sol du presbytère avec un sandwich — compréhensible quand on arrive à 7h30 et qu’on est censé rester jusqu’à 21h30 sans pause repas. Il lui faut 2 minutes pour accourir de la cave et, dans la précipitation, il commet une erreur.
Alors que le détecteur indique « combles-nef-sacristie », il transmet au sacristain (assistant du prêtre) : « Alarme sous le toit de la sacristie » (l’annexe de l’église où les prêtres se changent avant la messe). Le sacristain y jette un œil et n’y voit rien. Un deuxième panneau identique avec exactement le même texte se trouve dans la sacristie. Mais aussi les sacristains — qui pourtant connaissent bien l’édifice depuis des années — ne comprennent pas qu’il s’agit d’un départ d’incendie dans les combles de la nef au niveau de la sacristie. À 18h21, l’alarme automatique se déclenche et la messe en cours est interrompue. Mais le sacristain annonce qu’il s’agit d’une ‘fausse alarme’ et la messe continue comme si de rien n’était.
À 18h30, les grandes sirènes se mettent en route et diffusent un message demandant d’évacuer l’église pendant que les fidèles voient une bruine de suie noire descendre sur eux depuis la voûte. Alors que le feu progresse depuis déjà 25 minutes, que tous les clignotants incendie sont au rouge et que les sirènes hurlent, toujours personne n’appelle les pompiers… Le sacristain décide d’aller regarder sous le toit de la nef et a besoin de 20 longues minutes avant de finalement appeler les pompiers à 18h51. Quand ceux-ci arrivent à 19h01, il est encore possible d’éteindre le départ du feu sous le toit — sauf qu’il faut des échelles et de l’eau pour cela.
Ce n’est qu’à ce moment qu’on s’aperçoit que les « colonnes sèches » installées pour propulser l’eau vers le toit sont trop étroites. On ne peut y envoyer que 200 à 500 litres d’eau par minute — alors qu’il en faudrait au moins dix fois plus. On commande un bateau-pompe et des grandes échelles pour monter sur le toit. Mais le bateau est à Joinville-le-Pont et les deux seules échelles de plus de 30 m des pompiers parisiens sont remisées à Versailles. Il faut plus d’une demi-heure pour acheminer la première et plus d’une heure pour la seconde. Quand la brigade est finalement en ordre de marche — avec 1h30/2h de retard ! -, le chef des pompiers de Paris annonce que le toit ne peut plus être sauvé. Même pas avec des Canadair réclamés par Donald Trump.
A 19h56, le monde entier – record d’audience absolu ! – suit en live comment la flèche en flammes s’effondre et transperce le toit de la cathédrale. L’ordre est donné aux pompiers de quitter la cathédrale et ses abords au plus vite et l’île de la Cité est évacuée, car le ministre de l’Intérieur annonce que la tour nord pourrait s’effondrer et entraîner toute la cathédrale dans sa chute. Ce n’est qu’à 21h qu’on commencera à déverser des grandes masses d’eau sur le toit. Des images qui ont fait le tour du monde — sans préciser que c’était 3h après le départ du feu.
Petit son de cloche comme à la messe pour fermer les yeux et ouvrir benoîtement la bouche. Par pour une petite hostie, mais pour une grosse couleuvre que le gouvernement veut nous faire avaler. Dès le soir du drame, le ministre de l’intérieur lance une fausse info : la cause probable de l’incendie serait une « erreur humaine des ouvriers du chantier », ajoutant plus tard « qui auraient fumé des cigarettes ». C’est faux, et au moment de le dire, il le savait. Sur les images des caméras, on voit le dernier ouvrier quitter les lieux à 17h. Il porte une combinaison étanche avec un masque respiratoire (comme ses collègues). Impossible de fumer avec un masque respiratoire ! Mais ces masques font partie des éléments du dossier vite recouverts par une épaisse chape de plomb.
Aie, plomb : c’est justement le mot à ne surtout pas prononcer ! Nous avons tous vu ces fumées jaunes, où 250 tonnes de plomb se sont évaporées, chauffées par les 1300 poutres en chêne du toit. Les relevés de plomb du parvis de Notre-Dame sont passés en une nuit de 256 microgrammes à 1 300 000 (!!). Si avec 256 il faut déjà porter un masque respiratoire, que faire quand il y en a cinq mille fois de plus ? Évacuer Paris ? … Mieux ne vaut pas en parler du tout.
L’autre raison de ce « mensonge d’État » concerne la facture à payer : puisque l’État français est son propre assureur depuis 1889, il n’y a pas d’assurance incendie pour Notre-Dame. Mais les différentes compagnies qui y travaillent sont assurées d’office. Avec cette fable de mégots, l’État essaye de leur refiler la responsabilité du sinistre. Si des mégots étaient en cause, c’est une faute des ouvriers. Si des fils électriques sont la cause – ce qui paraît être le cas – la responsabilité tombe sur l’État et l’Église. On ne va quand même pas crier ceci sur tous les toits ? Et l’image de la France ? Il fallait vite trouver autre chose.
« Aujourd’hui, il est à craindre que les différentes enquêtes ne seront jamais publiées, la presse française restant d’une discrétion absolue sur ce sujet. »
C’est le président qui trouvera la formule magique. Devant la cathédrale en flammes Emmanuel Macron déclare que « nous allons la reconstruire en cinq ans (…) avec un geste contemporain pour la flèche ». Moins d’une heure après, la bataille des premières fortunes de France commence à coup de centaines de millions pour savoir qui donnera plus que l’autre. Le lendemain matin tous les journaux français font leur « Une » sur le drame avec le mot « Reconstruction ». Il n’est plus question que de donateurs, de la nouvelle flèche et des jeux olympiques de 2024. Un coup de communication de génie : en une seule phrase toute la question des causes de l’incendie passe à la trappe. Après plus personne n’ose en parler. Panurgisme médiatique.
Seule la Cour des Comptes publie un rapport en septembre 2020 pour dénoncer que le ministère de la Culture n’a toujours pas lancé d’enquête administrative sur les causes du drame ! Aujourd’hui, il est à craindre que les différentes enquêtes ne seront jamais publiées, la presse française restant d’une discrétion absolue sur ce sujet. Seules exceptions : Le Canard Enchaîné avec des enquêtes remarquables et un dossier spécial de 100 pages et le site La Tribune de l’Art, avec 56 articles sur ce sujet. Personne ne les cite, car il y a toujours un nouveau coup de com’ à annoncer autour de Notre-Dame. Le prochain sera la sortie le 13 avril 2022 d’un film de Jean-Jacques Annaud « Notre-Dame brûle ». Les rats du métro nous disent qu’ils ont bien envie d’ajouter en haut sur l’affiche le petit mot « pourquoi ?»…
Waldemar Kamer pour Le Chiffon
Photo de Une > Notre-Dame de Paris un mois après l’incendie, vu depuis la terrasse de l’institut de monde arabe, Licence CC 2.0
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