C’est l’histoire d’un pro­jet né dans les années 1990, de la tête d’un ges­tion­naire d’aéroports testostéroné au boom du trans­port aérien, dans un con­texte où le tourisme devient une pra­tique de masse et où émerge une classe moyenne mon­di­al­isée. Le Groupe ADP (Aéro­ports de Paris) qui exploite les aéro­ports fran­ciliens (Rois­sy-Charles-de-Gaulle, Orly et Le Bour­get) est l’un des pre­miers opéra­teurs européens. Pour le rester, il con­va­inc l’État (son autorité de tutelle) de con­stru­ire une liai­son fer­rovi­aire directe entre Rois­sy-CDG et le cen­tre de Paris. A l’origine, l’opération ne doit pas coûter un denier d’argent pub­lic. Mais après des échecs et des mues suc­ces­sifs, elle voit finale­ment le jour grâce au sou­tien de l’État et des entre­pris­es qu’il détient.

En 2000, les pre­mières études de fais­abil­ité sont lancées. Min­istre des trans­ports de l’époque, Dominique Per­ben promet que cet investisse­ment « ne coûtera rien aux con­tribuables […], seuls les util­isa­teurs paieront1». On s’oriente donc vers un parte­nar­i­at pub­lic-privé, dis­posi­tif en vogue pour le finance­ment des infra­struc­tures et des équipements publics depuis le tour­nant néo-libéral des années 1980. L’idée en est sim­ple : un con­ces­sion­naire sera choisi pour con­stru­ire, financer et exploiter la desserte de l’aéroport. Les recettes engrangées par la vente des bil­lets lui per­me­t­tront de rem­bours­er son investisse­ment. En 2006, l’État lance un appel d’offres. Mais Vin­ci, seul can­di­dat, jette finale­ment l’éponge cinq ans plus tard, invo­quant « la crise finan­cière, les incer­ti­tudes en résul­tant sur le trans­port aérien, ain­si que le Grand Paris2 [dont cer­taines lignes pour­raient con­cur­rencer le CDG Express] ».

Le CDG Express utilisera une navette dérivée du modèle Régiolis d’Alstom. Cramos, CC BY-SA 4.0

Le CDG Express utilis­era une navette dérivée du mod­èle Régi­o­lis d’Al­stom. Cramos, CC BY-SA 4.0

En 2015, Emmanuel Macron – alors min­istre de l’Économie – relance dis­crète­ment le pro­jet : sa loi « pour la crois­sance et l’activité » com­prend un pro­jet d’ordonnance con­cer­nant la réal­i­sa­tion d’une desserte fer­rovi­aire directe entre l’aéroport et Paris. Le texte est rat­i­fié sans réel débat par­lemen­taire en 2016. Pour­tant le pro­jet, très dif­férent de la pre­mière mou­ture, soulève plusieurs questions.

Les pre­miers plans prévoy­aient un itinéraire souter­rain, réservé au CDG Express. Le nou­veau tracé compte huit kilo­mètres de voies nou­velles (entre Mit­ry-Mory et l’aéroport) et 26 kilo­mètres de voies exis­tantes, qui inclu­ent celles du RER B.

Le mon­tage financier est aus­si entière­ment mod­i­fié : les investis­seurs privés ne voulant pas s’engager, l’État prend le relai. La réal­i­sa­tion et la ges­tion de l’infrastructure sont con­fiées à une société ad hoc, nom­mée CDG Express, détenue à parts égales par le Groupe ADP — dont l’État est action­naire majoritaire‑, SNCF Réseau — dont il est action­naire unique -, et la Caisse des Dépôts et Consigna­tions, groupe pub­lic sous tutelle de l’État.

Le cap­i­tal de la société provient pour l’essentiel d’un prêt de l’État. Elle recevra des péages de Hel­lo Paris – groupe­ment de Keo­lis et RATP Dev – qui exploit­era la ligne. Ces recettes con­stituent une source de rem­bourse­ment du prêt, l’autre étant une taxe prélevée par l’État sur les bil­lets d’avion au départ ou à l’arrivée de l’aéroport.

De l’argent magique en cas de faillite

Le principe du zéro denier pub­lic est donc bien loin : le risque financier est désor­mais 100 % pub­lic ! En cas de fail­lite, la dette du CDG Express reviendrait à l’État. Quant à l’infrastructure, ses coûts d’exploitation et de main­te­nance, ils seraient cer­taine­ment trans­férés à Île-de-France Mobil­ités (IdFM). « C’est tou­jours comme ça que ça finit »,con­clut, fatal­iste, le prési­dent de l’Association des Usagers des Trans­ports d’Île-de-France (AUT-IDF), en référence aux déboires de la navette aéro­por­tu­aire Orly­val.

Car, de l’avis de tous, les chances de suc­cès du CDG Express sont faibles. « Ce n’est pas pour rien que les entre­pris­es de BTP se sont retirées et que les ban­ques n’ont pas prêté », souligne le prési­dent de l’association d’usagers Plus de trains. Les recettes com­mer­ciales sem­blent avoir été sures­timées. À 50 euros le tra­jet en taxi, c’est aus­si rentable que la navette, dès lors qu’on voy­age à deux. Autres con­cur­rents du CDG Express : le RER B, qui ver­ra sa capac­ité aug­menter de 30 % en 2027 grâce aux nou­velles rames, et la future ligne 17 du Grand Paris Express, promise pour 2028. Enfin, les pro­jec­tions de fréquen­ta­tion ont été réal­isées avant la crise du Covid, qui a ralen­ti la courbe de crois­sance du traf­ic des aéro­ports franciliens.

 « CE N’EST PAS POUR RIEN QUE LES ENTREPRISES DE BTP SE SONT RETIRÉES ET QUE LES BANQUES N’ONT PAS PRÊTÉ »

Mais depuis 2016, mal­gré les risques, les résis­tances et les insuff­i­sances, le pro­jet est en marche. Le bud­get est passé de 1,6 à 2,2 mil­liards d’euros et la fi n du chantier a été décalée de fin 2023 à 2027. La faute au Covid et aux recours juridiques des opposants selon les décideurs. Que le CDG Express ne puisse finale­ment pas être mis en ser­vice pour les Jeux olympiques de 2024 — enjeu présen­té comme cen­tral en 2015 – n’a pas fait vac­iller la volon­té du Groupe ADP et du gou­verne­ment de con­cré­tis­er le projet.

Arnaud Bertrand s’indigne en out­re du dou­ble dis­cours de l’exécutif : à peine élu prési­dent de la République, Emmanuel Macron annonçait vouloir don­ner la pri­or­ité aux « trans­ports du quo­ti­di­en3 ». Pour­tant, deux mil­liards d’euros sont investis pour quelques mil­liers de touristes, tan­dis que la réno­va­tion du RER B n’avance qu’à petits pas. Scan­dal­isée aus­si par ce « deux poids, deux mesures », l’élue régionale PCF Céline Malaisé fustige ce « train des rich­es ».

Les usagers du RER B verront-ils le bout du tunnel ?

De nom­breuses voix s’élèvent depuis l’origine du pro­jet pour s’y oppos­er : élus locaux et régionaux de l’opposition, asso­ci­a­tions d’usagers des trans­ports, asso­ci­a­tions de riverains, syn­di­cats des salariés des trans­ports publics. Si les tonal­ités et les straté­gies vari­ent, les dis­cours ren­voient tous à deux débats essen­tiels. Dans un con­texte de restric­tions budgé­taires, où doivent aller pri­or­i­taire­ment les efforts d’investissement ? Plus fon­cière­ment, quelle métro­pole veut-on, et surtout, com­ment en décide-t-on ?

Pour com­pren­dre les raisons d’une telle oppo­si­tion au CDG Express, il faut revenir sur la sit­u­a­tion du RER B. La ligne a con­nu une forte hausse de fréquen­ta­tion ces dix dernières années (+13 % rien qu’entre 2014 et 2019), accueil­lant aujourd’hui près d’un mil­lion de voyageurs chaque jour. Or les rames n’ont jamais été changées. Dev­enues sous-capac­i­taires elles sont aus­si vieil­lis­santes, provo­quant des pannes régulières.

Pour répon­dre aux besoins de main­te­nance, un ate­lier a été ouvert à Mit­ry-Mory en 2021, com­plé­tant celui de Massy-Palaiseau. Mais faute de main‑d’œuvre suff­isante, les rames qui entrent ne peu­vent pas toutes être pris­es en charge, pré­cise un cheminot sur le site. Or, lorsque le matériel roulant est immo­bil­isé, il n’y a d’autre choix que de sup­primer des trains.

Le renou­velle­ment de la flotte est dans les tuyaux, mais il a pris du retard : les 146 nou­velles rames com­mandées par IdFM devraient voir leur livrai­son éch­e­lon­née de 2025 à 2027. Quant à l’infrastructure, elle fait aus­si l’objet d’un manque d’investissement, expli­quant les inci­dents de caté­naires et pannes de sig­nal­i­sa­tion qui émail­lent la vie des usagers.

Con­séquence : en 2021, le RER B était la ligne du réseau fran­cilien accu­sant le plus de retards. Nou­velle con­tre-per­for­mance en 2022 : le taux de ponc­tu­al­ité4 a été inférieur à 80 % sur sept mois con­sé­cu­tifs, oblig­eant IdFM à rem­bours­er par­tielle­ment les usagers de leur abon­nement. Or, comme le rap­pelle le cheminot de Mit­ry-Mory, « le RER B, c’est la France d’en bas. Ce sont tou­jours les mêmes qui sont pénal­isés. Les usagers occu­pent des emplois de pre­mière ligne et ont besoin d’une desserte fiable ».

La société CDG Express se tar­gue de con­sacr­er un-quart de son bud­get à la réno­va­tion d’infrastructures exis­tantes. Certes le RER B béné­ficiera de renou­velle­ment de voies et de caté­naires. Mais les béné­fices de ces réno­va­tions pour­raient être bien moin­dres que les effets néfastes de la mise en ser­vice du CDG Express. En effet, l’axe qui relie Paris à Mit­ry com­prend deux dou­bles voies. Sur l’une d’elle cir­cule le RER B. L’autre sert à la cir­cu­la­tion de la ligne K du tran­silien, du TER en direc­tion des Hauts-de-France et de quelques trains de fret. Cette sec­onde dou­ble voie est aus­si par­fois util­isée en cas d’incidents sur le RER B. Récem­ment, un RER est tombé en panne à Villepari­sis, et pour ne pas inter­rompre le traf­ic, les trains suiv­ant ont été aigu­il­lés vers les voies par­al­lèles, afin de dépass­er la rame en panne.

Aujourd’hui cette solu­tion est pos­si­ble parce que ces voies par­al­lèles ne sont pas sat­urées. Mais ce ne sera plus le cas une fois qu’un CDG Express y roulera toutes les quinze min­utes dans chaque sens. Arnaud Bertrand pose ain­si le prob­lème : en cas d’incident, « com­ment on choisit entre un RER B avec 2 000 per­son­nes dedans, des TER avec des provin­ci­aux qui ont besoin de ren­tr­er chez eux, et un CDG Express avec max­i­mum 120 per­son­nes mais qui ont payé 24 euros leur tra­jet ? »

Autre prob­lème : la bifur­ca­tion à Villepari­sis. À ce niveau-là, le CDG Express quit­tera la voie exis­tante pour rejoin­dre les voies nou­velles le menant à l’aéroport. Il doit alors couper toutes les autres voies. Si tech­nique­ment cela ne pose pas de prob­lème – c’est une affaire d’aiguillage et de sig­nal­i­sa­tion –, dans les faits cet entre­croise­ment risque de causer de nom­breux ralentissements.

Les grilles horaires seront tra­vail­lées pour que les trains CDG Express passent entre deux rames de RER, et que ni l’un ni l’autre n’ait à ralen­tir. Mais au vu de la den­sité de traf­ic, cela sup­pose un plan­ning mil­limétré à la sec­onde près. Au moin­dre retard, tout l’édifice horaire risque de s’effondrer comme un château de cartes, et le casse-tête com­mencera : qui du CDG Express ou du RER B arrêter à l’intersection ?

Aujourd’hui, ces sujets sont encore « en lévi­ta­tion » pour Arnaud Bertrand. Des négo­ci­a­tions sont en cours entre IdFM et l’État, qui promet que le CDG Express ne dégradera pas la qual­ité de ser­vice du RER. Mais rien ne sem­ble encore avoir été con­trac­tu­al­isé. Et c’est sans compter l’impact des chantiers. CDG Express se fait fort d’avoir « imbriqué » ses chantiers avec ceux du RER B dans une optique de rationalisation.

C’est une manière de présen­ter les choses… Qui omet de pré­cis­er que les plages d’interruption noc­turne du traf­ic sont insuff­isantes pour tout men­er de front. Ain­si, au pre­mier semes­tre 2023, le ser­vice s’arrête à 22h45 sur la branche Nord du RER B. Une sit­u­a­tion « scan­daleuse » pour l’association Plus de Trains, dans des ter­ri­toires où les habi­tants sont plus nom­breux qu’ailleurs à tra­vailler en horaires décalés. Char­lotte Blandiot-Faride, maire PCF de Mit­ry-Mory, dénonce une « assig­na­tion à rési­dence ».

« Faire passer la pilule »

Face à ces récrim­i­na­tions, l’État et le Groupe ADP assurent que le CDG Express apportera « du mieux pour tous dans les trans­ports en com­mun5 » . Pour Céline Malaisé, ce dis­cours ne vise qu’à « faire pass­er la pilule ». Qu’en est-il vrai­ment ? Pour éclair­cir le sujet, nous avons con­tac­té les acteurs insti­tu­tion­nels engagés dans le pro­jet : direc­tion des infra­struc­tures et des trans­ports au sein du Min­istère de la Tran­si­tion écologique, Groupe ADP et Hel­lo Paris. Tous ont décliné nos deman­des d’interview.

Notons pour com­mencer que les 17 000 pas­sagers qui pour­raient être trans­portés quo­ti­di­en­nement par la navette directe sont une goutte d’eau par­mi les 400 000 usagers quo­ti­di­ens de la branche Nord du RER B. Le « désen­gorge­ment » promis par les por­teurs du pro­jet sem­ble anec­do­tique. Ce d’autant plus que ces derniers se sont opposés à l’accès au CDG Express par les abon­nés Nav­i­go. Tout comme ils se sont opposés à ce que le train fasse un arrêt inter­mé­di­aire sur son tra­jet. Cela aurait pour­tant per­mis d’offrir une solu­tion de trans­port sup­plé­men­taire aux tra­vailleurs de l’aéroport habi­tant en Seine-Saint-Denis. Et pour écarter défini­tive­ment cette option, l’exploitant a fait le choix de rames dif­fi­cile­ment com­pat­i­bles avec les gares inter­mé­di­aires du RER B puisque leur planch­er est plus bas que la hau­teur des quais !

Secré­taire général de la CGT-ADP, Daniel Bertone souligne le para­doxe : le « développe­ment durable » est au cœur de l’argumentaire en faveur du CDG Express mais, dans ce cas, pourquoi ne pas con­cen­tr­er les efforts sur le report modal des 86 000 salariés de la plate­forme aéro­por­tu­aire, qui sont aujourd’hui 90 % à venir tra­vailler en voiture6, faute d’une offre de trans­port en com­mun qui cor­re­sponde à leurs besoins ?

Les pro­mo­teurs de la liai­son directe jus­ti­fient leurs choix : il faut répon­dre aux « besoins des pas­sagers aériens ». Quels besoins ? Ceux d’« une liai­son directe, rapi­de, fiable et con­nec­tée7 » . En quoi ces exi­gences sont-elles spé­ci­fiques à ceux qui vont vis­iter la tour Eif­fel, aux hommes et aux femmes d’affaires de pas­sage à Paris ? Pourquoi les habi­tants du Nord-Est de l’Île-de-France n’auraient-ils pas, eux aus­si, droit à une desserte de qualité ?

La maire de Mit­ry-Mory, s’interroge : sous cou­vert d’un dis­cours policé con­cer­nant les besoins des touristes, n’y aurait-il pas la volon­té de la part du Groupe ADP de ne pas « mélanger les clien­tèles », les pop­u­la­tions de Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis n’étant pas une « bonne vit­rine » pour la cap­i­tale ? Le jour­nal­iste économique Marc Fres­soz, spé­cial­isé dans les trans­ports, va plus loin : les usagers du RER B « ne cor­re­spon­dent pas à la vision roman­tique que se font les touristes de Paris ». C’est ce « choc » que souhait­erait éviter ADP.

À ces mul­ti­ples cri­tiques, l’on pour­rait oppos­er que les déplace­ments des Fran­ciliens ne sont pas du ressort de l’État et encore moins du groupe ADP, c’est la région en a la charge. Cepen­dant, la réal­ité n’est pas si sim­ple. Les investisse­ments dans les trans­ports publics provi­en­nent en large par­tie des Con­trats de Plan entre l’État et la Région (CPER) via lesquels ces deux entités négo­cient des investisse­ments com­muns tous les cinq ou six ans. Or il s’avère juste­ment qu’un bras de fer est en cours sur le CPER 2021–2027 : la région Île-de-France estime que le bud­get pro­posé par l’État est insuff­isant dans le domaine des trans­ports, tan­dis que celui-ci se retranche der­rière ses con­traintes budgétaires.

« Il faudra assumer »

Inquié­tudes et propo­si­tions alter­na­tives au CDG Express ont été exprimées lors de l’enquête publique de 2018. Pas­sage obligé de tout grand pro­jet, ses con­clu­sions étaient mit­igées mais non pre­scrip­tives. L’association Non au CDG Express, réu­nis­sant notam­ment des riverains de la nou­velle infra­struc­ture, des élus de Mit­ry-Mory, ou encore des cheminots, a alors organ­isé des blocages du chantier visant à frein­er le pro­jet. Elle a aus­si porté plusieurs recours juridiques, dont un tem­po­raire­ment vic­to­rieux : en 2020, le tri­bunal admin­is­tratif de Mon­treuil a jugé que le pro­jet ne revê­tait pas « d’intérêt pub­lic majeur », juge­ment toute­fois annulé en appel deux ans plus tard.

Aujourd’hui, les opposants se ren­dent à l’évidence : les chantiers sont bien avancés et les rames sont livrées, il n’est plus pos­si­ble d’espérer une annu­la­tion du pro­jet. En revanche, ils comptent bien met­tre les décideurs face à leur respon­s­abil­ité une fois la cat­a­stro­phe annon­cée adv­enue. Arnaud Bertrand de Plus de Trains prévient : « Notre compte Twit­ter est très suivi, et aujourd’hui les vidéos sont partout. Quand 1000 per­son­nes sur un quai ver­ront pass­er CDG Express vide, ce sera très lourd à porter. » « Il fau­dra assumer », aver­tit égale­ment la maire de Mitry-Mory.

« POUR LE GROUPE ADP LES USAGERS DU RER B NE CORRESPONDENT PAS À LA VISION ROMANTIQUE QUE SE FONT LES TOURISTES DE PARIS »

Les asso­ci­a­tions d’usagers et les élus con­cen­trent désor­mais leur énergie sur l’amélioration du RER B. Début 2023, Valérie Pécresse a annon­cé une mis­sion d’audit sur cette ligne : doivent être iden­ti­fiées des solu­tions rapi­de­ment applic­a­bles pour gag­n­er 1 % de ponc­tu­al­ité par an… Une manière de faire patien­ter les usagers qui atten­dent les investisse­ments lourds dont le réseau a vrai­ment besoin ?

Des palmarès qui font recette

On ne peut s’empêcher de se deman­der pourquoi ces investisse­ments sont encore en négo­ci­a­tion, tan­dis que le CDG Express est pro­mu pro­jet « d’intérêt pub­lic majeur8 » et boucle un bud­get de 2,2 mil­liards d’euros.

Une pre­mière hypothèse vient à l’esprit : la pour­suite de la pri­vati­sa­tion du Groupe ADP ayant récem­ment été ren­due pos­si­ble9, l’État, encore action­naire majori­taire, n’aurait-il pas tout intérêt à embel­lir « la cor­beille de la mar­iée », dans l’optique d’une vente éventuelle de ses par­tic­i­pa­tions – bien qu’il se défende à hauts cris d’un tel projet ?

Plus fon­da­men­tale­ment, une piste est aus­si à chercher du côté des poli­tiques d’attractivité et des « recettes10 » d’aménagement qui sous-ten­dent le proces­sus de métrop­o­li­sa­tion. Depuis les années 1970, la glob­al­i­sa­tion des sys­tèmes de pro­duc­tion entraîne une polar­i­sa­tion des activ­ités économiques autour des grandes villes, comme le démon­tre Paul Krug­man11. Les cap­i­taux étant plus mobiles, les investis­seurs sont plus sélec­tifs : ils ten­dent à les con­cen­tr­er dans quelques métrop­o­les de rang mon­di­al leur offrant des avan­tages tels qu’une main‑d’œuvre qual­i­fiée et des infra­struc­tures per­for­mantes. La con­cur­rence entre les villes est rude pour attein­dre ce podi­um et s’y main­tenir. Elles répon­dent à cet « impératif de com­péti­tiv­ité12» par des amé­nage­ments stan­dard­is­és. Comme le souligne le géo­graphe marx­iste David Har­vey, ces impor­tantes dépens­es publiques doivent per­me­t­tre d’ancrer le cap­i­tal privé dans l’espace13.

Le cas du CDG Express est à ce titre emblé­ma­tique. Selon la recette en vogue, tout aéro­port de pre­mier plan doit dis­pos­er de sa liai­son directe avec la cap­i­tale. La néces­sité de respecter ce stan­dard inter­na­tion­al con­stitue d’ailleurs l’argument majeur des por­teurs du pro­jet, qui répè­tent à l’envi que, con­traire­ment aux aéro­ports de Lon­dres, Hong Kong ou Tokyo, Rois­sy-CDG « ne dis­pose pas d’une desserte fer­rovi­aire expresse ». Et alors ? pour­rait-on rétor­quer. Paris n’en fig­ure pas moins dans le top 10 des « glob­al cities » selon le think-tank Glob­al­iza­tion and World Cities (GaWC)14 et Rois­sy-CGG est le qua­trième aéro­port accueil­lant le plus de pas­sagers inter­na­tionaux en 2022. Si ces pal­marès lais­sent de mar­bre les petits rats que nous sommes, ils affo­lent nos élites dirigeantes, apparem­ment ter­ri­fiées à l’idée d’y chuter ne serait-ce que d’un ou deux rangs.

Si ce jusqu’au-boutisme idéologique peut se con­cré­tis­er, ne serait-ce pas aus­si dû à la faib­lesse des proces­sus démoc­ra­tiques à l’œuvre dans ce pro­jet ? L’État a imposé le CDG Express via une ordon­nance, out­il con­tour­nant la procé­dure par­lemen­taire ordi­naire. Et la Région s’est empressée de ne pas faire obsta­cle à cette immix­tion sur son ter­ri­toire. Le futur Grand Paris Express, adop­té par une loi ne fix­ant ni le tracé ni le finance­ment pré­cis du réseau, ou encore l’aéroport de Notre-Dame-des-Lan­des (aujour­d’hui aban­don­né) jus­ti­fié par un référen­dum aux modal­ités con­testées, sont d’autres avatars de ces pro­jets imposés au nom de la com­péti­tiv­ité des territoires.

Si le com­bat con­tre le CDG Express n’a pas été rem­porté, asso­ci­a­tions et élus locaux pensent déjà à la bataille d’après : en cas d’échec com­mer­cial de cette navette pour hap­py few, com­ment réu­tilis­er ses équipements et infra­struc­tures au prof­it d’une métro­pole plus viv­able pour tous ?

Mar­i­on Mag­nan, jour­nal­iste pour Le Chif­fon

Image de Une : Rame du RER B arrivant en gare de Bourg-la-Reine. Pho­to Tidi546, CC BY-SA 4.0.
Illus­tra­tion : SiBorg

 

Copyright © 2023 Le Chiffon

Contact : le_chiffon@riseup.net

Le Chiffon a reçu pour l'impression
une aide de la fondation Un Monde par Tous