Dif­fi­cile de ne pas être sur­pris en ren­trant sur le Ter­rain d’éducation physique et sportive (TEP), renom­mé Ter­res d’écologie pop­u­laire de Ménil­montant par les mil­i­tants. Nous nous y ren­dons en milieu du mois d’octobre un same­di en début d’après-midi. En remon­tant la petite allée vers la friche, nous y croi­sons deux poules flan­quées de leur coq. A côté du poulailler, un com­post est à dis­po­si­tion pour que les riverains y déposent leurs déchets organiques. 

Un peu plus haut, des enfants jouent au foot­ball, libérés du regard de leurs par­ents, instal­lés con­fort­able­ment sur les bancs et autres transats dis­per­sés sur le ter­rain. Une buvette offre quelques rafraîchisse­ments, ver­res con­signés bien naturelle­ment, pour qui voudrait se désaltérer.

Dif­fi­cile de faire con­traste plus sai­sis­sant avec le cimetière qui lui fait face. En effet, le TEP se donne avant tout à voir comme un lieu de vie ani­mé. Bien que les jours se fassent plus frais et plus courts, l’endroit parvient à main­tenir une cer­taine fréquen­ta­tion. L’occasion d’un dernier temps de plein ensoleille­ment avant l’hiver, n’y est sans pas doute innocente.

Nous étions passés la semaine précé­dente, un ven­dre­di soir plu­vieux et n’avions trou­vé alors qu’une seule bénév­ole, abritée sous un toit en bois, quelque peu embar­rassée lorsque nous avions demandé : « J’avais vu un événe­ment en ligne… Et sinon, du monde vient en général ? ». Cette fois-ci, l’embarras est de notre côté en ayant fait part de nos doutes au vu du suc­cès man­i­feste du lieu.

Et dire que l’on pour­rait bien­tôt faire face à un amas de gra­vats et au bruit assour­dis­sant des pel­leteuses ! Pour cause, le pro­jet lancé en 2011 par Bertrand Delanoë, maire de Paris de 2001 à 2014, visait à con­stru­ire, sur les ruines d’un ancien stade de foot, un com­plexe immo­bili­er com­prenant un gym­nase, une déchet­terie, 85 loge­ments soci­aux ain­si que des jardins partagés.

Un projet de construction bien différent de celui annoncé

Dès les pre­miers jours, le pro­jet sus­cite cepen­dant des résis­tances. Un mil­i­tant nous explique : « Je fai­sais par­tie d’une asso­ci­a­tion qui gérait un jardin partagé juste à côté. Nous savions que l’occupation du ter­rain n’était que tem­po­raire. Mais quand la mairie a présen­té le pro­jet pour la friche, il ne s’agissait pas du tout de ce que l’on nous avait annon­cé ». Les riverains sont alors inter­loqués par la hau­teur des bâti­ments, l’installation d’un cen­tre de traite­ment des encom­brants en sous-sol ou encore sur le faible espace lais­sé à la ver­dure dans un quarti­er qui en manque déjà cruellement.

Un mou­ve­ment de riverains con­cernés par le pro­jet, «La chaise en action», se con­stitue en asso­ci­a­tion. Celle-ci, dans un pre­mier temps, tente d’utiliser la voie judi­ci­aire, mais les deux recours intro­duits pour annuler les travaux sont rejetés en pre­mière instance. 

De juridique le com­bat devient alors poli­tique. Alors même qu’ils n’ont aucune expéri­ence mil­i­tante, les riverains appren­nent la lutte sur le ter­rain. Ain­si, le 8 avril 2019, une pel­leteuse orange est sur­prise par un comité d’accueil con­sti­tué de riverains et de quelques élus locaux débar­qués à toute vitesse une fois l’alerte donnée.

Une ban­de­role est déployée et les engins bre­douilles doivent rebrouss­er chemin, le maire social­iste du 11ème, François Vauglin, se refu­sant à faire inter­venir les forces de l’ordre.

Face à la pres­sion pop­u­laire et voy­ant le vent souf­fler dans le dos d’Europe Écolo­gie-les Verts, Anne Hidal­go renonce au pro­jet à la suite des élec­tions européennes. Alors que cer­tains y voient un retourne­ment de veste dans l’optique des élec­tions munic­i­pales, M. Vauglin assure que : « La déci­sion avait été prise avant le scrutin ». 1

La mairie se trou­ve en effet dans une sit­u­a­tion déli­cate, son pro­jet pour le TEP réus­sit la prouesse de faire con­verg­er oppo­si­tions de droite et de gauche con­tre lui. Mais pour les bénév­oles et mil­i­tants, le com­bat est loin d’être achevé. Si la mairie a annon­cé l’abandon du pro­jet ini­tial, elle entend faire une nou­velle propo­si­tion « recal­i­brée » : « on ne peut plus le faire de la même façon » con­sid­ère François Vauglin.

Les débuts d’un lieu autonome

Face à ce qu’ils con­sid­èrent comme un jeu de dupes, les mem­bres de l’association ne cèdent pas à une pas­siv­ité expec­ta­tive. Ils pour­suiv­ent la con­struc­tion d’un lieu de vie afin d’aménager la zone et, chaque dimanche, les riverains sont appelés à met­tre la main à la pâte afin de pour­suiv­re les con­struc­tions sans béton qui font tant trem­bler les adju­dants d’Anne Hidal­go. « Notre objec­tif c’est de con­tin­uer à créer un état de fait afin qu’il devi­enne un état de droit » nous dit Hubert2.

Si la lutte pour le TEP de Ménil­montant est si intéres­sante, c’est qu’elle est ancrée dans un quarti­er. Loin d’une mobil­i­sa­tion de mil­i­tants chevron­nés, elle incar­ne le proces­sus de poli­ti­sa­tion à l’œuvre chez des riverains vic­times d’un énième « grand pro­jet inutile ».

En effet, si des élus locaux et des asso­ci­a­tions se sont gref­fés sur ce com­bat afin d’apporter leur sou­tien, ils sont loin d’être à la manœu­vre, évi­tant ain­si tous les risques de récupéra­tion poli­tique. Bien loin d’avoir appris grâce au « savoir-faire mil­i­tant » pro­posé par les asso­ci­a­tions écol­o­gistes pro­fes­sion­nelles, les bénév­oles de La chaise en action ont voulu appren­dre sur le tas : « Lorsque l’on attendait le début du chantier au print­emps dernier, il fal­lait s’organiser. Une per­son­ne était chargée de veiller à ce que chaque matin quelqu’un soit présent pour guet­ter l’arrivée des machines et prévenir les autres ».

Au con­traire, les inter­ven­tions des asso­ci­a­tions écol­o­gistes ont mené à quelques sit­u­a­tions cocass­es. « Des mil­i­tants ont tenu une for­ma­tion à la désobéis­sance civile auprès des bénév­oles. Quand ils ont pris con­science des risques judi­ci­aires que ce type d’action tout le monde dis­ait « Oh non, je ne veux surtout pas faire ça ! » Alors même qu’ils venaient de blo­quer le chantier en sachant très bien ce à quoi ils s’exposaient ! ».

Si à la suite de cette for­ma­tion, beau­coup de mil­i­tants s’étaient éloignés des activ­ités de l’association, ils sont revenus depuis. Loin des débats mil­i­tants récur­rents sur la néces­sité morale ou stratégique de la désobéis­sance civile, celle-ci est apparue comme naturelle. Elle témoigne d’un relatif con­sen­sus autour de ce mode d’action et de la dif­fu­sion de cette tac­tique de plus en plus util­isé ces dernières années par les mou­ve­ments écologistes.

En out­re, on peut met­tre au crédit de La Chaise en action, via l’écologie pop­u­laire, d’avoir réus­si à dépass­er le cli­vage allant a pri­ori de soi entre poli­tique écologique et poli­tique sociale. Mais pourquoi au juste ?

S’opposer à la construction de logements sociaux : une lutte de bobos privilégiés ?

Le pro­jet de con­struc­tion de loge­ments soci­aux rend dif­fi­cile une oppo­si­tion pure et sim­ple au pro­jet, au risque, pour les mil­i­tants, de pass­er pour l’archétype du citadin priv­ilégié allergique à toute forme de mix­ité sociale. « Il faut voir ce que l’on a pris sur les réseaux soci­aux. On a essayé de nous faire pass­er pour des Nim­by [ndlr « Not in my back­yard », désig­nant en français, grosso modo : «Pas chez moi»] ». 

En effet, sur Twit­ter, de nom­breux comptes relaient des mes­sages assim­i­lant les per­son­nes mobil­isées à des « bobos » préférant un joli petit parc en lieu et place de loge­ments abor­d­ables pour les class­es pop­u­laires. Même l’ancienne Min­istre de l’habitat et du loge­ment durable (sic !) de François Hol­lande, aupar­a­vant secré­taire générale d’EELV, Emmanuelle Cosse, se déclarait sur Twit­ter con­sternée par la mobil­i­sa­tion des habi­tants : « Quand les bien logés s’opposent à des loge­ments abor­d­ables. Honte de voir util­isé l’argument de la bio­di­ver­sité pour con­tr­er du loge­ment social 3 ».

« J’avais un peu le même préjugé au début con­cer­nant la lutte de la pre­mière asso­ci­a­tion « touche pas à mon stade» [fondée en 2012]. Je trou­vais que l’opposition à la con­struc­tion de loge­ments soci­aux étaient une posi­tion indéfend­able » affirme Hubert. Pour­tant, les bénév­oles sont loin d’être assim­i­l­ables aux habi­tants de l’Ouest parisien hos­tiles à l’installation d’infrastructures sociales dans leur quarti­er.4

« On s’est ren­du compte que beau­coup de bénév­oles étaient égale­ment les habi­tants des loge­ments soci­aux avoisi­nants, pour­suit-il. D’ailleurs, on n’est pas con­tre les loge­ments soci­aux mais on con­sid­ère qu’il faut une meilleure répar­ti­tion ».

Lutte sociale et lutte environnementale : une opposition caduque ?

Il est notam­ment mis en bal­ance le pro­jet du TEP avec la réal­i­sa­tion d’un parc en face de l’église Sainte-Ambroise, pour un coût exor­bi­tant, dans un quarti­er sociale­ment très homogène situé plus au sud de l’arrondissement. Les mil­i­tants insis­tent égale­ment sur la néces­sité d’élaborer une poli­tique de la ville plus ambitieuse que la sim­ple béton­i­sa­tion de poten­tiels espaces verts pour attein­dre les quo­tas de loge­ments soci­aux, en essayant par exem­ple de frein­er l’installation d’entreprises ou la loca­tion touris­tique afin d’alléger le marché locatif.

Ain­si, plutôt que de se laiss­er enfer­mer dans une oppo­si­tion binaire entre les « bobos » et les « class­es pop­u­laires », les bénév­oles sont par­venus à met­tre en avant le bien-être des habi­tants des loge­ments soci­aux envi­ron­nants en leur recon­nais­sant un droit d’accès à des espaces de verdure.

En béton­nant un espace vert essen­tiel dans le quarti­er, en con­stru­isant des immeubles imposants au-dessus d’une déchet­terie, c’est sans doute les nou­veaux rési­dents qui seraient en réal­ité les plus impactées par le pro­jet. « On installe tou­jours les mêmes infra­struc­tures dans les mêmes quartiers. C’est à cette logique-là qu’on s’oppose. Ils veu­lent con­stru­ire un ter­rain de bas­ket qua­si­ment à hau­teur des fenêtres des habi­tants. Ce serait inviv­able pour eux ! » déclare une mil­i­tante. En s’installant durable­ment sur ces ter­res par la con­struc­tion d’un pro­jet alter­natif, le TEP de Ménil­montant éla­bore pas à pas son « utopie réelle ».

Ain­si, plus qu’une sim­ple « lutte con­tre », elle incar­ne une réap­pro­pri­a­tion de l’espace pub­lic pour ses habi­tants. Et un aver­tisse­ment pour d’autres pro­jets inutiles.

Marc Ouze pour Le Chif­fon

Pho­to de Une > Bar et espace de dis­cus­sion amé­nagé sur le TEP. Crédits : Gary Libot.

Pho­to 2 > Gin­ger, opposante au pro­jet de la mairie. Crédits : Gary Libot.

 

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